Derrière le sirop de banane, le CIPRO est sans doute l’antibiotique que l’on sert le plus fréquemment à la pharmacie. Mais c’est aussi une des armes les plus puissantes que nous avons en pharmacie contre les infections… sommes-nous en train de le brûler à petit feu? C’est la question que se posent certains experts européens.
Des bactéries qui se parlent
D’abord, il faut comprendre la relation que les bactéries ont les unes avec les autres. Ils ont un pouvoir que nous n’avons pas: celui de la conjugaison.
La bactérie possède, comme les cellules de l’humain, de l’ADN. Cet ADN dicte tout ce qui se passe dans la bactérie. Mais la cellule bactérienne abrite aussi des brins d’ADN supplémentaires nommés plasmides. Ces plasmides contiennent des gènes qui, dans certains cas, lui permettent de combattre des antibiotiques, une habileté qui se développe parfois spontanément en raison de mutations dans l’ADN.

Un plasmide. (Creative Commons.)
Bien avant que les humains se mettent à écrire des blogues pour échanger leurs idées, ou même avant les fresques préhistoriques, les bactéries ont su développer la capacité de communiquer entres eux ces secrets maléfiques. En effet, via la conjugaison, elles peuvent s’échanger leur fameux plasmide, et ainsi partager ces morceaux d’ADN pouvant rendre nos plus puissants antibiotiques complètement inutiles… et conquérir l’univers, un jour peut-être?

La conjuguaison (Creative Commons)
Un antibiotique très (trop?) utile
Revenons-en au CIPRO. Il est une des armes pouvant protéger l’humanité d’une telle conquête microbienne. Nous l’utilisons parfois pour des raisons bien spécifiques, comme des diverticulites (infection complexe de l’intestin impliquant plusieurs types de bactéries) ou des biopsies de la prostate (dans ces cas on l’utilise afin de prévenir une infection qui pourrait suivre la biopsie).
Et d’autres fois, il est utilisé avec un peu plus de largesse, et je suis en partie coupable. Par exemple, il m’arrive d’en fournir 4 bouteilles à une famille partant pour Punta Cana, afin que tous puissent siroter leurs Pina Colada sans trop craindre la tourista. Ils prendront leur CIPRO si l’intestin se met à gargouiller! Fréquemment, je le sert à une femme qui subit une première infection urinaire. D’autres antibiotiques plus traditionnels auraient probablement fait l’affaire dans 90% des cas… Mais comme les médecins sont surchargés et les cliniques difficiles à contacter, le CIPRO est souvent utilisé dès le départ afin d’éviter la possibilité d’un échec… jusqu’à ce qu’un jour, le CIPRO lui-même ne marche plus du tout et que nous ne sachions plus quoi faire!
Du côté de l’Europe
En Europe, il existe un comité d’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance. Ce comité a récemment recommandé de restreindre l’usage des fluoroquinolones, la famille du Cipro, à des infections plus sévères. Ces armes pharmacologiques ne pourraient donc plus être utilisées pour des infections communes telles que la diarrhée du voyageur ou les infections urinaires non compliquées.
Que pensez d’une telle initiative? Le quotidien des médecins et des pharmaciens deviendrait certes plus compliqué si nous n’avions plus accès à ces puissants antibiotiques! Mais le jour où ceux-ci deviendront désuets arrivera, et la prochaine génération d’antibiotiques se fait toujours attendre. Ce jour là, nous serons bien affaiblis devant une armée de bactéries de plus en plus intelligentes!
Il va sans dire que, pour nous tous, la meilleure façon de réduire cette propagation de la résistance, c’est d’éviter de prendre des antibiotiques inutilement (comme c’est souvent le cas durant la période des rhumes). Et bien sûr, d’éviter de tomber malade, autant que possible!
Petit rappel pour éviter les infections
Je profite du sujet pour rappeler certaines mesures de bases pouvant garder les bactéries pathogènes loin de vous:
- Une alimentation saine, riche en légumes et fruits de couleurs variées
- Des heures de sommeil régulières
- Une bonne gestion du stress, entre autres via l’exercice physique
- Un supplément de vitamine D
- Une bonne hydratation (infection urinaire)
- Se laver les mains (infections respiratoires et gastro-entérite)
- Une bonne hygiène nasale (utiliser un rince-sinus si vous suspectez un début de rhume)
- Vigilance en choisissant ses aliments et boissons lors de voyage (diarrhée du voyageur)
Un enjeu qui nous concerne tous
La résistance au antibiotiques est un enjeu de société qui doit être pris au sérieux par notre gouvernent et les experts du domaine, comme l’INESSS qui fournit aux professionnels de la santé des guides pour mieux choisir les antibiotiques. Mais la résistance aux antibiotiques se développe aussi au niveau individuel, donc nous devons tous y penser!
NB: La vaccination, en particulier celle pour la grippe, n’a AUCUN impact sur la résistance bactérienne. Si vous êtes à risques, faites-vous vacciner! Mais à l’inverse, le vaccin ne protège pas contre tous les types d’infections, alors il ne faut pas baisser la garde pour autant. De plus, si un médecin, pharmacien ou IPS vous prescrit du CIPRO, faites-lui confiance et ne cessez pas votre traitement pour autant! Il s’agit probablement du meilleur choix, selon la pratique actuelle, pour votre condition. Ceci dit, n’hésitez pas à parler avec lui des risques posés par la résistance aux antibiotiques, et les façons dont nous pouvons éviter d’y contribuer!