La découverte d’un vaccin ou d’un traitement efficace contre la COVID-19 serait présentement l’avancée scientifique la plus bénéfique à l’humanité, c’est indéniable. Que ce soit sur le plan de la mortalité, de la morbidité, de l’impact social, psychologique ou même économique, toute arme pour stopper ce virus aurait un impact démesurément positif sur la vie de chaque être humain. Je ne peux pas imaginer une autre innovation, passée ou potentielle, qui serait d’une ampleur similaire.
Mais pendant que ce virus nous ébranle et que les chercheurs passent nuit et jour à diriger tous leurs efforts vers cette noble poursuite, bon nombre de maladies risquent de tomber, pour un temps, dans l’oubli collectif. Et pire encore, dans l’oubli de la communauté scientifique.
Je crains particulièrement ce qui attend les cliniciens dans cet après-COVID-19. Tout de suite après le premier grand soupir de soulagement auquel nous rêvons tous. Il y aura du retard, beaucoup de retard, à rattraper.
Pandémie ou pas, les pharmacien(ne)s sont quotidiennement confrontés à plusieurs patients souffrant d’un éventail de problèmes de santé. Voici ceux qui me viennent en tête aujourd’hui (je ne prétend pas en faire une liste exhaustive) et qui risquent d’être, temporairement, les perdants de cette concertation des efforts cliniques et scientifiques vers le COVID-19.
Oncologie
Il est complètement crève-cœur de parler avec des gens dont les conjoint(e)s subissent de chimiothérapie ces jours-ci. Comme ces patients sont évidemment très à risques, ces couples ne peuvent même pas se voir. C’est le confinement total, dans une période où le besoin de support est à son comble. Les cancers ne lisent pas les nouvelles et continuent, à travers cette pandémie, d’être le fléau du siècle. Fâcheuse conséquence de l’augmentation de la longévité, ils continueront de causer énormément de souffrance, alors souhaitons que la recherche de traitements plus efficaces et mieux tolérés restera une priorité pour les scientifiques.
Les bactéries
Je me souviens de mon premier cours de microbiologie au cégep. On y apprenait le concept des mutations génétiques et des résistances bactériennes face aux antibiotiques. Depuis ce jour, je suis à la fois fasciné et effrayé à l’idée d’une super-bactérie mutante, résistante à tous les antibiotiques, qui infecterait le monde afin d’en prendre possession. À ce jour, le 21e siècle nous confronte plutôt aux virus – plus particulièrement les coronavirus, avec l’épidémie de « SRAS-Cov » de 2003 (avec 43 morts au Canada) et du redoutable « SRAS-CoV-2 » qui se propage actuellement sur toute la planète. La virologie verra sans doute un bond marqué de l’intérêt qui lui est dédié. Et souhaitons le, de nouveaux antiviraux seront probablement sur nos tablettes au cours de la prochaine décennie. Par contre, la phénomène de la résistance des bactéries – les gros cousins des virus – face à nos antibiotiques, reste un problème majeur en perpétuel développement. L’ERV, le SARM et le C. Difficile n’ont pas fini de causer des éclosions fatales. Le développement de nouveaux antibiotiques afin de renouveler notre arsenal est essentiel, mais ces efforts écoperont sans doute de la concertation des forces actuelles vers la production d’un vaccin. Il demeure primordial que des recherches se poursuivent de ce côté, afin d’être prêt à affronter la prochaine attaque, qui pourrait venir des bactéries. Chose certaine, si jamais mes enfants manifestent l’intérêt de s’orienter vers la microbiologie, je les encouragerai chaudement! Le travail n’y manquera pas, malheureusement.
Les maladies chroniques
La gestion des maladies chroniques repose sur de saines habitudes et des suivis réguliers. En période de crise, ce sont 2 choses qui tendent à être involontairement mises de côté. Certes, il est possible de voir, chaque jour, des dizaines de marcheurs sur les pistes cyclables de ma banlieue. Mais pour chacun d’eux, il y a probablement une centaine d’individus, confinés, stressés et dont les habitudes alimentaires et de sommeil se voient complètement chamboulées, et pas pour le mieux. Qui aurait pu imaginer, il y a quelques années à peine, un monde dans lequel tous les gyms, installations sportives, bibliothèques, musées et studios de yoga sont fermés, tandis que l’alcool, le cannabis et le service au volant restent entièrement disponibles? Même avec toute la volonté du monde, nos patients souffrant de diabète, d’hypertension et de MPOC, pour ne nommer que celles-ci, constateront assurément l’impact négatif de cette crise sur leurs maladies. Mais ils pourront tout de même se compter chanceux d’être parmi ceux qui en sortent indemnes. Toujours est il que ce sera un gros travail qui attend les cliniciens pour la suite de 2020.
Les troubles dépressifs et anxieux
Il est triste de constater que les traitements actuellement prescrits et utilisés pour contrôler les dépressions et les troubles anxieux ne fonctionnent pas pleinement pour plusieurs patients, et pas du tout pour d’autres. Ces individus, à priori plus vulnérables, sont doublement mis à l’épreuve par le stress psychologique supplémentaire que représente le confinement chez soi. Aujourd’hui, plusieurs d’entre nous commençons à sentir les conséquences négatives de ces mesures drastiques d’isolément préventif: irritabilité, tristesse, angoisse, insomnie. Je n’ose pas imaginer ce que ce fardeau représente pour un individu souffrant déjà d’une maladie mentale. De plus, la perte d’un emploi, un stress conjugal ou familial et la peur de l’inconnu ou de la maladie sont autant d’éléments pouvant mettre le « feu au poudre » à des troubles anxieux préexistants. Ces gens, naviguant déjà difficilement sur les vagues usuelles du quotidien, risquent de ne pas sortir psychologiquement indemnes de cette tempête. Le suivi psychiatrique de ces patients est primordial et le sera de plus en plus au cours des prochaines semaines. Il en va de même pour le développement de nouveaux traitements innovants. Certaines de ces initiatives impliquent des molécules sensibles au plan légal (ex: psychédéliques). Souhaitons que les inévitables engorgements juridiques, législatifs ou politiques ne repousseront pas l’arrivée de nouvelles avenues thérapeutique grandement attendues.
Il y a sans doute des dizaines de maladies et de « catégories » de patients qui sont à risque de subir de grands impacts négatifs, directs ou indirect, de la pandémie actuelle. Ces patients composent le quotidien des professionnels de la santé, et continueront de nécessiter des soins qui deviennent de plus en plus difficiles à prodiguer. Il est important de ne pas oublier qui sont ces malades, afin d’être prêts à les aider aussitôt que possible.
Prenez soin de vous, de vos proches, et pourquoi pas des malades qui vous entourent, si vous en avez la possibilité!