Longue vie aux pharmacien(ne)s!

Il y a 5 ans presque jour pour jour, la profession de pharmacien subissait, discrètement mais sûrement, une métamorphose considérable. Le 25 juin 2015, au retour du férié* de la St-Jean-Baptiste, la loi 41 entrait en vigueur et concrétisait le passage du pharmacien d’un spécialiste du médicament pouvant émettre une opinion, vers un professionnel de la santé au champ de pratique élargi. C’est depuis ce jour que nous pouvons, en autre, initier, ajuster, adapter ou re-prescrire certains traitements médicamenteux.

Plus récemment et encore plus discrètement, pendant la pandémie de la COVID-19, la loi 31 est venue élargir d’avantage le spectre des situations cliniques où nous pouvons intervenir, en plus de nous autoriser à effectuer, ou du moins prendre en charge, la vaccination.

Comme mes collègues, je crois que ces initiatives vont généralement dans la bonne direction. C’est-à-dire, celle de permettre aux pharmaciens d’exercer leur jugement clinique dans un cadre précis, afin de fournir le bon médicament, au bon moment – ce qui est devenu un luxe dans notre système de santé.

Notre profession, cinq ans plus tard

Il ne faut surtout pas penser que la maturation de notre profession est complétée. Au contraire, l’environnement dans lequel elle évolue l’expose à plusieurs forces la confrontant de tous les sens. Le modèle d’analyse de Porter permet de les représenter sommairement:

porter

Modèle d’analyse de Porter appliqué à la profession de pharmacien

Évidemment, la survenue de la pandémie de la COVID-19, de par ses impacts directs et indirects sur la santé de la population et sur les finances publiques et privées, augmente la pression sur toutes les parties prenantes présentes dans ce modèle. Alors que les pharmaciens gardent fièrement le fort, dans chacune de leurs officines, il n’en demeure pas moins que les déficits s’accumulent, les comportements de nos clients évoluent et les autres professionnels s’adaptent rapidement. Tôt ou tard, ces forces se canaliseront vers  notre pratique. Ne serait-ce que via toutes les négociations à venir avec le gouvernement, les assureurs, les ordres professionnels, et chacun de nos clients!

Revue d’une journée typique d’aujourd’hui

Revenons à aujourd’hui. Ce sont quelques centaines de clients qui transitent quotidiennement dans ma pharmacie. Une majorité d’entre eux passent au laboratoire, pour un renouvellement, une nouvelle ordonnance ou une question au sujet de leur santé.

La plupart des laboratoires de pharmacie se sont dotés de chaînes de travail ultra-organisées. Si vous avez déjà eu l’occasion de voir l’envers du décors, vous avez sans doute pu voir des paniers aux couleurs multiples suivant un trajet sinueux, délimité par des frontières de duck-tape, qui les mène sur des carrousels, des glissades et des passages secrets, avant d’aboutir à l’autre bout du laboratoire, sain, sauf et sans erreur à tout coup.

Ces trajets eux-mêmes sont élaborés par des consultants spécialisés, portant des ceintures noires, qui dédient beaucoup de temps et de ressources à prévoir la chorégraphie pharmaceutique idéale. Le but ultime: contrôler le semi-chaos qui peut parfois prendre d’assaut nos laboratoires, et ne faire aucune erreur 99,99966% du temps!

Parfois lent, parfois rapide

Au fond, c’est ce semi-chaos qui rend notre profession charmante. En tant que pharmaciens, nous devons réussir à jongler avec les urgences, les semi-urgences, et les non-urgences… qui sont tout de même importantes, si on ne veut pas qu’elles mènent à d’autres urgences!

Il faut donc alterner entre le rôle de pharmacien analytique – devant un dossier de 15 médicaments – et celui du pharmacien intuitif -qui doit aller gérer un patient en pleurs. Le modèle des 2 vitesses de la pensée, popularisé dans son livre par le psychologue Daniel Kahneman, s’applique bien à la dichotomie de cette description de notre travail. Ce modèle divise les actions cognitives en 2 grandes catégories: celles issues de notre pensée rapide et les autres résultant de notre pensée lente

Plus précisément, selon Wikipedia:

Pensée rapide:

Il s’agit du système cognitif qui fonctionne de manière automatique, involontaire, intuitive, rapide et demandant peu d’effort. De manière générale, le système 1 est le système de raisonnement utilisé par défaut, car il est le moins coûteux en énergie. C’est également lui qui est à l’origine de la créativité, grâce aux multiples associations intuitives qu’il effectue.

Pensée lente:

Il s’agit du système le plus souvent – à tort – associé à la faculté de pensée. Il nécessite une certaine concentration et une certaine attention de la part de l’individu. Il intervient dans la résolution de problèmes complexes, grâce à son approche plutôt analytique.

 

Le pharmacien doit utiliser sa pensée lente pour effectuer certaines des tâches qui lui sont traditionnellement associées:

  • analyser un ordonnance,
  • calculer une dose,
  • rechercher une interaction
  • ou vérifier des résultats de tests.

Mais plus souvent qu’on puisse le penser, le pharmacien doit user de sa pensée rapide. En effet, il faut régulièrement laisser l’intuition être le guide à travers une multitude d’imprévus, lors d’une journée à l’office. Que ce soit en parlant avec un patient, un client, un autre professionnel de la santé, ou même un employé, il est impératif de laisser l’intuition être le guide, surtout lorsqu’il y a quelque chose qui cloche.  C’est ainsi qu’un pharmacien peut réaliser:

  • qu’un patient n’a rien compris de ses explications,
  • qu’un médecin se fie à un dossier qui n’est pas à jour,
  • qu’un employé a menti pour se sauver de l’embarras
  • ou qu’un patient est chez lui en besoin urgent d’assistance, par exemple.

Est-ce que des machines porteront nos sarraus?

Il faudra assurément une infinie de cycles de processeurs pour qu’une intelligence artificielle atteigne le niveau de complexité requis pour calquer le travail du cerveau d’un pharmacien usant de sa pensée rapide.

Par contre, il en faudra beaucoup moins pour apprendre à cette même intelligence artificielle à détecter les interactions, contre-indications ou les erreurs de doses. Devinez quelles sont les connaissances et les habiletés sur lesquelles l’emphase est majoritairement mise, au cours de notre formation universitaire et de nos formations continues?


50 Cent et Justin Timberlake se posait des questions similaires il y a plus de 10 ans déjà.

Baby this a new age, you like my new craze
Let’s get together maybe we can start a new phase

Ayo Technology, 50 Cent, Justin Timberlake, Timbaland


Face à cette compétition, il faut capitaliser sur nos forces uniques.

La versatilité  et l’intuition sont des atouts majeurs qui font de nous, les pharmaciens, des professionnels de confiance pour la population. Par contre, l’environnement externe et l’évolution accélérée de la technologie nous forcent à toujours nous renouveler pour assurer la pérennité de notre profession. Nous devons nous demander quelles seront les tâches quotidiennes des pharmaciens dans 10, 20 ou même 50 ans, afin de tout de suite amorcer le virage nécessaire à la réalisation de ce destin. Ceci implique de respecter, comprendre, et intégrer les technologies utiles, tout gardant le contrôle sur le bout de la chaîne de soins globale qui nous est propre. C’est l’intuition d’un pharmacien qui doit en rester le maître d’oeuvre.

Il est clair que les pharmaciens devront en faire plus avec moins. Si vous n’étiez pas convaincu, le ministre de la santé est aujourd’hui un comptable, ça ne ment pas! Ne nous faisons pas prendre au dépourvu et commençons tout de suite à réfléchir. Lorsque le temps viendra, quelle partie de leur travail les pharmaciens devront-ils déléguer à un(e) ATP, une machine, et quelle partie devront-ils ABSOLUMENT faire eux-mêmes? Le temps venu, il est fort probable que ces tâches essentielles soient les seules auxquelles nous pourrons vraiment nous dédier, et que le reste sera pris en charge par des outils numériques.

Choisissons tout de suite le bout du carré de sable le plus précieux, et protégeons-le vigoureusement. Pour le bien de la population bien sûr, mais aussi pour assurer notre survie à long terme.

*J’ai une petite pensée pour tous mes collègues pour qui ce mot (férié) ne veut pas dire grand chose d’autre que des problèmes d’horaire!

Publicité

Laisser un commentaire

Entrer les renseignements ci-dessous ou cliquer sur une icône pour ouvrir une session :

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s