Pour une médecine centrée sur les Données de Santé!

Qu’ont en commun chacun de vos renouvellements de médicaments, prises de sang ou rendez-vous médical? Chacun de ces événements génèrent des données relatives à votre santé. Nul besoin de le préciser, mais avec les avancées technologiques qui ont cours dans les laboratoires autant que dans votre propre poche, la quantité de données ainsi générées est sur le point d’exploser!

Certaines de ces données sont plus familières. Par exemple, une liste des médicaments que vous prenez ainsi que les résultats d’analyses et des tests que vous subissez sont dorénavant enregistrées dans le Dossier Santé Québec, le nuage québécois dédié à la santé.  Présentement, c’est surtout ce genre de données qui sont utilisées par les professionnels de santé de la première ligne. En effet, ce nuage est accessible dans chaque bureau et chaque lieu où des soins de santé sont dispensés. Au moment d’une consultation, ces données sont récupérées et amalgamées aux données « locales » et traditionnelles. Par exemple, les notes dans votre dossier médicale ainsi que votre tension artérielle cette journée là. 

Mais une transition est en cours. De plus en plus de gens traînent dans leur poche, ou sur leur petit bout de nuage virtuel, une variété de données supplémentaires. On peut penser au nombre moyen de pas quotidiens et de calories consommées. Aux activités sportives effectuées. À la qualité et à la durée du sommeil. Au poids, et à la variation de celui-ci. Aux tensions artérielles et à la présence ou non d’arythmies. Au journal de migraines ou du cycle menstruel. Aux valeurs de glycémies, parfois même en continue et en temps réel! Et plus récemment, à l’historique de fièvre ou de symptômes grippaux, ou même à la fréquentation ou non d’un lieu possible d’éclosion virale. 

Et le coût de toutes ces données? Minime. Quand on le compare au budget de la santé, du moins! Un iPhone et quelques applications. Un bracelet Fitbit, un tensiomètre connecté. Quelques minutes par jour pour collecter des données, sous formes de chiffres, de questionnaires ou de commentaires.

Rêver d’une gigantesque et perpétuelle collecte de données collective

Il n’est pas si difficile d’imaginer une évolution de notre système de santé qui réorganiserait les soins autour d’un noyau de données intelligemment mesurées et triées. Automatiquement, selon l’état de santé mais aussi selon l’historique et l’environnement de chacun, les bonnes choses seront mesurées, via les différents instruments, capteurs et questionnaires à notre disposition. Dans le contexte quotidien de la prestation de soins, ceci pourrait sauver un temps fou. En effet, chaque visite chez un professionnel de la santé commence habituellement par un processus répétitif de collecte de données. Prendre la tension artérielle, peser, mesurer, chercher le résultat de prise de sang ou questionner sur les habitudes de vie récentes sont aujourd’hui des activités cliniques considérées comme le cœur d’une consultation… au détriment du temps passé à analyser, expliquer, prévenir et éduquer. Comme les programmeurs le disent si bien, tout ce qui est répétitif mérite d’être réévalué et automatisé! (À moins que le processus lui-même offre une valeur clinique ajoutée… Est-ce que vous fumez encore?)

Je crois que nous devons rêver au jour où les consultations seront bien différentes!

Pour y arriver, il faut imaginer un écosystème où l’accumulation de données de santé est décuplé et démocratisé. Peut-être même subventionné! Ceci est nécessaire à l’atteinte d’un niveau de médecin dite personnalisée, surtout si nous souhaitons que cette médecine puisse être préventive et intelligente. Il ne faut plus se restreindre à mesurer les paramètres biologiques nécessaires aux diagnostics. Il faut aussi mesurer pour mieux comprendre, dépister et contextualiser.

Vaincre la peur

Jusqu’à maintenant, le frein qui ralentit une collecte de données si massive est la peur. La peur qu’une donnée critique ne soit pas traitée. Par exemple, en tant que pharmacien, je me dois de prendre action face à toute donnée problématique ou tout problème dans la thérapie auquel je suis confronté. Bien sûr, je dois aussi documenter le problème et l’intervention qui en découle. Plus de données signifie plus de travail, plus de responsabilités et pas nécessairement plus de revenus. Il en est de même pour tous les professionnels de la santé. Peu importe l’heure du jour où s’ils sont débordés ou en situation de manque de personnel. Ou de pandémie! 

Doit-on laisser cette peur freiner le cours de l’évolution de la chaîne de soins?

Ce n’est pas un secret: le système de santé manque de ressources. Le temps manque, les professionnels sont débordés et les budgets sont restreints. Ainsi, il faut aller à l’essentiel, au plus urgent, et repousser ce qui peut attendre. Parfois, cette procrastination clinique peut se poursuivre jusqu’à ce qu’un problème devienne trop important pour l’ignorer. (Auquel stade notre système de santé devient généralement assez efficace et conciliant, il faut le souligner!)

Or, nous entrons dans une ère où les innovations dans les secteurs de l’ingénierie médicale et de l’intelligence artificielle permettront de faire de plus en plus de tests, d’analyser et de stocker de plus en plus de données pour des coûts qui seront de plus en plus faibles.  Il est donc primordial pour toutes les professions de la santé de se préparer à cette nouvelle façon d’aborder les soins de santé. Dans cette nouvelle réalité que j’imagine, la science des données permet à chaque professionnel de la santé d’avoir un impact exponentiel. Ce podcast de la firme a16z illustre bien cette vision!


You can’t circumvent life, you gotta earn it
It’s the circle of life, that’s why we’re turning

No Fear, Common


Nous n’avons pas le choix

Pourquoi devons-nous prendre ce virage, malgré les risques relatifs à la confidentialité ou la peur d’en échapper quelques unes? Parce que c’est la seule façon de nous assurer de pouvoir répondre à la demande grandissante en soins. On pense bien sûr au vieillissement de la population. Mais n’oublions pas que l’accroissement des connaissances bio-médicales met aussi de plus en plus de pression sur les cliniciens. Si ceux-ci n’ont pas le temps d’apprendre et d’appliquer ce que la science découvre, nous continuerons à être soignés dans le passé.

Qui plus est, derrière cette évolution des soins se présente la promesse d’une plus grande équité dans l’accessibilité des soins. Le concept de médecin de famille, par exemple, est limité par la charge de travail maximale qu’un médecin peut assumer, en collaborant efficacement avec une équipe de soins. Et si on ajoutait à chaque GMF (groupe de médecine familiale) un professionnel en données de santé? Pourrions-nous inventer une nouvelle profession? Si les pharmaciens sont les professionnels des médicaments, n’y-a-t-il pas de la place, en 2020, pour un spécialiste capable de superviser le processus de collecte, d’accumulation et de triage de toutes ces données?  Armé des bons outils, tels que des algorithmes de détection cliniquement validés, celui-ci pourrait simultanément assurer la protection des intérêts des patients. Pourrait-on espérer, dans un tel contexte, qu’un médecin de famille puisse doubler sa patientèle? Et qui sait, peut-être qu’un jour, ça sera 10x?

À mon avis, telle sera la seule voie possible pour assurer des soins de qualité et équitables pour toute la population.

Évidemment, cette médecine centrée sur les données de santé exigerait la refonte de plusieurs lois, règlements et politiques. Il faudrait aussi s’assurer que les professions elles-mêmes partagent toutes les mêmes intérêts (ceux des patients) afin de ne pas sombrer dans le corporatisme et le protectionnisme. Car si de telles stratégies ont primé par le passé, ça ne sera certainement pas le cas au cours de ce siècle qui nous a déjà montré que les entreprises peuvent changer la loi (Uber).

Somme toute, il est évident que les bénéfices l’emportent sur les risques. Certes, il ne faut pas négliger la protection de ces données, sans quoi elles pourraient passer d’une richesse à un handicap et être utilisées à des fins de discrimination.

J’espère sincèrement que la génération de professionnels de la santé à laquelle j’appartiens partagera mon enthousiasme face aux possibilités qui nous attendent. Avec une action concertée de tout le milieu de la santé, cette évolution peut réellement devenir une révolution qui assurera des soins préventifs, intelligents et équitables pour tous!

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