Vous souvenez vous la dernière fois que vous avez patienté dans la salle d’attente d’une pharmacie? Tôt ou tard, pour soi ou pour un proche, ça nous arrive à tous.
En tant que pharmacien, je crois fièrement en l’importance de mon rôle et de ma profession. En effet, les tâches qui doivent être effectuées durant cette attente plus ou moins longue sont multiples:
- Validation de l’ordonnance (identifiée, datée, signée, lisible!);
- Saisie de données dans le bon dossier patient;
- Préparation de l’ordonnance (comptage, étiquetage, réclamation aux assurances);
- Vérification du contenant-contenu et de la facturation par une ATP ou un pharmacien;
- Analyse thérapeutique par le pharmacien. Ceci inclut entre autres, l’indication, le dosage, les allergies et les interactions;
- Interventions requises pas le pharmacien: ajuster, modifier, ajouter ou substituer un médicament selon les problèmes ou ruptures de stocks qui surviennent;
- Communication avec le prescripteur lorsque requis;
- Changements à effectuer dans un pilulier lorsque requis;
- Préparation de fiches informatives, calendrier et/ou démonstrateurs pour conseils au patient;
- Facturation de la somme due.
Certains clients plus impatients nous brusquent parfois et nous demandent « Ça va-tu aller plus vite si je viens les compter l’autre bord du comptoir? » Je peux assurément leur dire que non.
Ceci dit, une partie de moi comprend cette impatience. Tout d’abord, parce qu’un arrêt à la pharmacie est souvent l’apogée d’une journée pas si agréable. Mais surtout parce que, dans un monde idéal, tout ce travail du pharmacien aurait pu être fait avant votre arrivée à la pharmacie!
Pourquoi ne suis-je pas avisé automatiquement lorsque votre médecin choisit le traitement qu’il souhaite que vous preniez? Je pourrais vous fournir des tas de réponses – ou plutôt d’explications – à cette question, mais aucune d’entre-elles ne serait vraiment valable. Un tel canal de communication permettrait aux pharmaciens d’effectuer, ou du moins d’entamer, leurs multiples tâches durant votre trajet ou votre arrêt à la garderie.
Histoire vraie, trop vraie…
Prenons, par exemple, un patient qui obtient son congé de l’hôpital le vendredi soir, comme c’est souvent le cas. Bien souvent, je recevrai sa longue série d’ordonnances beaucoup plus tard que je l’aurais souhaité… parce que son lift est en retard.
Résultat: stress additionnel pour le personnel de la pharmacie et pour le patient. Et pas seulement ça. Il y a aussi l’heure de tombée des commandes spéciales qui sera ratée, la prochaine dose à prendre qui sera retardée ou compromise, le médecin qui ne sera plus sur l’étage lorsqu’il faudra régler l’inévitable problème, etc…
Pas de la science-fiction
Les outils technologiques permettant une telle efficacité existent (DSQ, DME, App de pharmacie). Mais ils ne sont pas parfaitement intégrés et sont sous-utilisés, autant par les pharmaciens, les médecins que par les patients. Pourquoi est-ce que le progrès se fait attendre alors que l’impact sur les soins et le gain de temps seraient si positifs? Je me le demande chaque jour. Le désagrément et l’inconfort ressentis par les partis impliqués ne doivent pas être suffisants à faire bouger la force du statu quo…
Mais pour moi, c’est tout le contraire. Chaque ordonnance traité à l’ancienne renforce mon rêve de créer un nouveau continuum espace-temps où les ordonnances sont faites… dans le passé!

Un futur parallèle dans lequel j’ai déjà traité votre prescription! © Back to the future
Imaginez un lien direct et virtuel entre vous, votre médecin et moi, me permettant de tout savoir et tout régler avant même que vous mettiez le pied dans la pharmacie. Puis au moment où vous vous identifiez au laboratoire, une station-conseil munie d’un paravent et d’un écran vous est assignée. Je vous y rejoint promptement et, côte à côte, nous révisons le ou les médicaments prescrits, assistés de vidéos et d’infographiques (que vous avez déjà reçus par courriel) vulgarisant les consignes et modes d’emplois nécessaires. On vous demandera ensuite une courte évaluation de votre expérience par courriel.
Le but ultime: un lien privilégié entre nous qui nous rassure l’un et l’autre.
Votre visite en pharmacie doit être le baume sur votre plaie… et non pas le fer qu’on y tourne. Vous ne sortez peut-être pas guéri, mais rassuré et convaincu d’avoir les outils et la connaissance pour mieux prendre soin de vous et de vos proches.
Pour arriver à forger un lien de cette nature, vous et moi devons considérer et respecter nos vulnérabilités respectives; ce sont elles qui nous rapprocheront. Car nous sommes tous vulnérables à certains égards. Et ce n’est pas un défaut, loin de là. C’est en présentant au grand jour nos peurs, incertitudes, fragilités et besoins que nous nous rendons plus aptes à établir une relation enrichissante avec quiconque. Et dans une certaine mesure, c’est exactement ce qui se passe à chaque fois qu’un pharmacien fait bien son travail.
Chaque client et patient de ma pharmacie a besoin et/ou peur de quelque chose. C’est en allant définir le plus exactement possible ces peurs et ces besoins que j’accomplis le mieux possible cette partie de mon travail de pharmacien.

Comment parvenir à forger un tel lien avec une personne qui n’a besoin de rien et qui n’a peur de rien? Impossible. © Terminator 2
Et il a peur de quoi, le pharmacien?
Pour ma part, je me considère tout aussi vulnérable. J’ai peur de faire une erreur ou d’oublier quelque chose. De perdre un client peut-être. De ne pas être apprécié. Je ne verbalise pas ces craintes, mais vous les sentez dans mon approche, mon empressement et ma détermination. Il se trouve que cette peur, lorsque bien contrôlée, est une motivation sans égal pour se dépasser à chaque jour.
Je rêve à ce jour où la technologie supportera de façon complète et exhaustive la chaîne de travail du pharmacien pour me dédier entièrement à cette relation avec le patient. Ai-je peur de perdre mon travail, à coup d’innovations technologiques? Un peu, peut-être. Mais tel que discuté, cette peur est ma force! Car les ordinateurs, les robots et même l’intelligence artificielle, eux, n’ont peur de rien… et tel sera toujours leur défaut! À moins que…

Peut-être le seul robot qui pourrait vraiment voler mon travail… © Wizard of Oz