C’est bientôt le temps des fêtes. Je ne vous apprend rien en vous disant que la tendance du magasinage en ligne est en forte progression. Je le constate chaque jour à même ma pharmacie, qui est un point de service pour une populaire compagnie de livraison. Ainsi, des dizaines de gens me visitent chaque jour pour récolter un colis, idéalement faire quelques achats à la pharmacie en passant, puis s’en retournent chez eux.
Assez régulièrement, le colis en question est une boîte arborant l’emblématique sourire d’Amazon. À l’échelle mondiale, la fin du parcours de ces millions de colis devient un élément névralgique du commerce en ligne, alors que la rapidité de livraison ne cesse d’améliorer. N’est-ce pas un peu ironique que le « last mile » de ces colis se termine dans mon établissement, alors qu’Amazon est un compétiteur qui attaque de plus en plus directement mon marché via ses produits de santé et beauté, et possiblement un jour celui des médicaments au Québec? Peut-être. Mais j’ai la conviction que la pharmacie de quartier doit, par toute les façons possibles, rester un endroit accessible, pratique, où une variété de services sont disponibles.

Nous sommes envahis par de fragiles colis.
Partout dans le monde, j’ai pu constater que les drugstores, farmacias, ou peu importe le nom qu’ils portent, sont des établissements vers lesquels les gens se dirigent pour leur santé d’abord, mais pour une multitude d’autres besoins variés. Passes d’autobus, fringale, bureau de poste… Ces services ne font pas nécessairement une grosse différence sur le bilan financier des pharmacies, mais ils présentent une opportunité de rester pertinents dans un marché qui évolue rapidement. En tant que pharmacien, la santé doit rester la priorité et l’élément qui me différencie des autres commerces. Mais à l’époque ou la télémédecine et les plates-formes se propagent à tout vitesse, il est risqué de s’y limiter.

Les pharmacies à travers le monde: des entreprises aux facettes multiples.
Alors, en voyant tous ces colis passer, je me demande comment me défendre contre cette invasion. Ils sont fragiles, alors je dois être antifragile.
L’inverse de la fragilité
À l’aube du Black Friday, des millions d’entre-nous commanderont des télévisions HD, des ordinateurs portables, ou peut-être des montres ou des lunettes fumées. Du début à la fin de leur parcours, ces items ont un aspect en commun: il sont fragiles. Un bête accident menace de les abîmer de façon permanente, ou pire, de les rendre complètement inutiles.
Quel est l’inverse de la fragilité? Cette question ne m’avait jamais frôlé l’esprit jusqu’à ma lecture récente du livre du même nom de Nassim Nicholas Taleb.

Antifragile: un concept fascinant.
Instinctivement, on s’imagine peut-être une couverture toute molle ou une brique indestructible. Selon le dictionnaire des antonymes, l’inverse de la fragilité est la robustesse ou la durabilité. Est-ce vraiment la meilleure définition? Si un objet fragile est endommagé par un impact, comment désigner celui qui se trouve renforcé par un tel contrecoup? La robustesse d’une brique ne désignerait alors que la zone de neutralité sur ce spectre, c’est-à-dire un objet qui ne sera ni brisé ni amélioré suite à un impact.
Alors, tout ce qui se retrouve à l’autre extrémité de ce spectre sera donc antifragile, donc amélioré par chacun des impacts qui lui sont portés.
Au-delà des objets
Il n’est pas évident de s’imaginer ce concept en se limitant aux objets. Une fois appliqué aux humains que nous sommes et aux entreprises que nous menons, ce concept prend tout son sens. Chaque situation difficile au travail offre une opportunité de s’améliorer et d’innover. Chaque peine et chaque deuil permet de se préparer à vivre le prochain de façon plus sereine. Chaque compétiteur arrivant dans un marché élève la barre d’un cran, présentant ainsi l’opportunité à tous les joueurs de la surpasser.
Un corps antifragile
La biochimie qui animent nos cellules connaissent déjà ce concept. Les antioxydants sont pour la plupart de micro-poisons sécrétés par les végétaux pour se défendre. Mais en mangeant quelques bleuets ou un peu de poivre, vous exposez votre organisme à ceux-ci et enclenchez une réponse biochimique qui pourra servir à combattre de futurs polluants ou de minuscules tumeurs. En ne buvant que de l’eau pour 24 heures, vous provoquez une petite onde de choc hormonale qui permettra à plusieurs de vos organes de mieux réagir lors de votre prochaine séance d’entraînement ou votre prochain morceau de gâteau.
Le destin ne cessera certainement pas de m’envoyer des heures de pointes très occupées à la pharmacie ou des colis d’Amazon qui me passent sous les yeux. Qu’il ne fasse surtout pas attention à moi; je suis antifragile.